Christmas Corp. (part. 1)
Et
pendant ce temps la, le père Noël grelotait à s'en rompre les cervicales. Mais
pourquoi avait-il fallu qu'il accepte ce job pourri ? Certes il n'avait plus un
rond. Certes de nouveaux et récents démélés avec la justice et les gros titres
de la presse locale ne lui avaient pas facilité sa réintégration sociale. Mais
putain ! Aller se coltiner la distribution de millions de jouets à des chiards
pleurnichards et tout ça dans un traineau tracté par des rennes volants ! "N'iiiiimporte
quoooi lui !" aurait dit son ex-femme. Cette pensée lui arracha son
premier sourire depuis 24 heures. Au moins elle ne serait pas la pour le
harceler continuellement et lui réclamer sa pension alimentaire. L'agence
d'intérim l'avait choisi pour son expérience en la matière. Il avait déjà
endossé un costume de Père Noël il y a quelques années, dans un supermarché, à
l'approche des fêtes. Mais il avait été viré au bout de trois heures. Ivre
mort, il avait dégueulé sur une gamine venu lui remettre sa lettre alors qu'il
essayait de la tripoter maladroitement. Mais l'agence ignorait ce détail. Cette
fois-ci c'était du lourd ! Heureusement que le job était grassement payé et
qu'il n'allait pas durer plus d'une nuit. Et peut-être aussi que comme le
spécifiait l'annonce, le don d'ubiquité qui allait lui être accordé par ses
employeurs allait se révéler amusant à l'emploi. Oui, rester positif, se dit-il
en soufflant dans ses mains et en sautillant sur place pour se réchauffer. Il
relut sa fiche de mission et pour la 20ième fois, entreprit de faire un
panoramique de la gare. Elle était déserte, comme depuis qu'il était descendu
du train. Aucune trace d'activité humaine ou animale, récente ou ancienne...
Des tourbillons de blizard mêlés à la neige fine balayaient le quai. Le panneau métallique "North Pole
Railway Station", secoué erratiquement par les bourrasques hurlantes, ne
tenait plus que par une chainette qui n'allait d'ailleurs pas tarder à lacher.
Le panneau, gong mystique annonçant de bien sombres augures, cognait durement sur
son support, rythmant lugubrement la nuit polaire. Le train était déjà reparti
depuis 1 h. Il en avait été le seul passager. Pas étonnant, si l'on en juge par
la folle ambiance qui règne en ces lieux ! Mais plus étonnant avait été
l'absence de tout contrôleur, machiniste et de toute présence humaine à bord de
ce train... Il n'avait pas vu non plus de conducteur dans la motrice de tête et
encore moins de chef de gare dans cette station pourrie. Un train automatisé,
sans doute. Ils ont de la maille, chez "Christmas Corp Limited". Sil
avait su, il n'aurait pas acheté de billet et aurait empoché l'avance de frais
octroyée par l'agence d'intérim. Cette négligence de sa part le déprima un peu
plus.
Cette
attente commençait à sévèrement lui tapper sur les nerfs ! Pour lutter contre
le froid il avait déjà enfilé son costume de père Noël et avait descendu le
dernier quart de sa dernière bouteille de Wild Turkey. Il s'apprêta à en
extraire avec dépit les dernières gouttes en secouant vigoureusement le goulot au dessus de sa bouche, la tête
penchée en arrière, quand il se figea. Le traineau céleste, traîné par 6 reines
miteux qui semblaient galoper dans des steppes invisibles, piquait droit sur
lui dans un concert de rires déments et de sirènes qu'on aurait cru empruntées
aux bombardiers nazis de la deuxième guerre mondiale ! Il n'eut que le temps de
se jeter à terre, pour éviter l'attelage qui le frôla pour se poser une dizaine
de mètres plus loin. Les "pilotes" du traineau, deux petites
créatures humanoïdes bubonesques et diformes au long nez crochu, visiblement
satisfaites de la frayeur provoquée chez l'apprenti père noël, se tordaient
d'un rire puissant contrastant avec leur apprence malingre. Les deux furoncles
sautèrent du traineau avec une agilité tout aussi étonnante que leur costume
vert de robin des bois, moulant à souhait leurs difformités ainsi qu'un énorme
appareil génital. Ils se dirigèrent vers l'homme. Il était encore abasourdi,
figé à terre dans une posture de défense grotesque. Arrivé à sa hauteur, ils se
mirent à se bidonner de plus belle en apercevant les stalagtites qui
commençaient à se former sur la fausse barbe du père noël.
"Ça
fait longtemps que tu attends ? Excuse nous pour le retard, mais nous avons
crevé en route !" lacha l'un deux d'une voix nasillarde et leur fou rire
repartit de plus belle. Quand ils se furent calmés, l'autre pris la parole
"Je
suis Gérard et voici Gérard, mon frère jumeau ! Nous sommes, avec nos autres
frères qui nous attendent la bas, les gardiens de la manufacture arctique de
"Christmas Corp Limited" et sommes en charge de la formation des
Pères noël ! L'entretien du traineau rentre aussi dans nos attributions !"
"D'ailleurs tu as pu apprécié nos dernières modifications en matière
d'avertissement sonore !" gloussa son frère, alors que Gérard imitait le
bruit de la sirène juste avant qu'ils ne recommencent à manquer de s'étouffer
entre deux hoquets de rire...
L'homme
se releva en époussetant son costume, jaugea les deux créatures, et se dit
qu'il ne risquait pas grand chose s'il en tabassait une pour l'exemple. Il
s'apprêta à shooter dans la tête du gnome le plus proche mais les deux
aberrations se raidirent comme s'ils avaient lu dans ses pensées et
rengorgèrent leur fou rire. "Humm Bon, ramasse ton paquetage, il est plus
que temps d'y aller", fit Gérard. Ou Gérard. De toute façon, l'homme était
incapable de les distinguer. Il les suivit vers le traineau en les maudissant à
voix basse. Il décocha un coup de pied vengeur dans les côtes du renne le plus
proche sous l'oeil réprobateur des jumeaux et s'installa à l'arrière. Il manqua
verser par dessus bord quand le traineau s'envola en trombe ! Le hennissement
des rennes, les yeeha de western et les claquements de fouet déchiraient la
nuit sur un fond de Cucaracha diffusé par un klaxon à poire ! Evidément, les
deux tordus se bidonnaient encore. "Installe toi confortablement, et
essaie de dormir un peu, nous en avons pour qq heures de voyage ! On se mettra
au travail dès notre arrivée !" L'homme haussa les sourcils en levant les
yeux aux ciels et se cala sous l'épaisse fourrure synthétique made in china et
la morsure du froid se fit moins présente. La gare avait disparu de son champs
de vision et l'étrange équipage survolait maintenant des ilots de banquise qui
devaient dériver depuis l'éternité. Le père noël perçut alors toute l'étrangeté
de la situation. D'abord le train. Comment un train peut il aller jusqu'au pôle
nord, alors que celui-ci est immatériel, et que ce putain de bled n'est qu'un amas
de morceaux de calotte glacière balloté par un océan placide. Ensuite le
klaxon. Comment un klaxon a poire pouvait diffuser au choix la cucaracha, le
bruit de sirènes de Stukas et maintenant "la Moldau" de Smetana. Et
pourquoi faire venir de la fourrure synthétique de Chine alors qu'on avait
croisé une bonne vingtaine d'ours blancs depuis le départ. Il secoua la tête
comme pour chasser ces interrogations. Il se dit, alors que le sommeil
commençait à lui alourdir les paupières, qu'à la télé ils avaient raison avec
leur histoire de réchauffement climatique. La calotte glacière du pôle nord
était en train de fondre Et que c'était bien comme ça. Avec un peu de chance,
l'élévation du niveau des océans allait éradiquer toute cette racaille verte.
Cette pensée lui fit du bien et il s'abandonna à un sommeil agité, sans se
rendre compte que c'était complètement con, que le niveau des océans n'allaient
pas s'élever à cause de fonte de la banquise ! Mais il n'était pas très au fait
de la mécanique des fluides et de la thermodynamique !
La
secousse provoqué par l'aterissage brutal le projeta hors du traineau. Il
retomba lourdement 5 mètres plus loin au milieu d'une assemblée de Gérards, eux
aussi tout de vert vétus et bien entendu tout aussi morts de rire ! Il remarqua
alors pour la première fois la drôle de dentition de ces petits êtres, qui
tenait plus de la machoire de requin que des chicots pourris qu'on était en
droit d'attendre de tels résidus de fonds de capote ! Cela le mit mal à l'aise.
Un des gnomes s'approcha en lui tendant la main pour l'aider à se relever.
"Je m'appelle Gérard, je suis le contremaître en chef et voici tous mes
frères" lui glissa t-il en arborant un sourirre carnassier. Il fit un
large geste de la main pour désigner la cantonnade. L'homme, par défi ou par
peur, ne saisit pas la main et se releva par ses propres moyens. "Bonne
arrivée Père Noël !" s'exclamèrent en coeur les autres nains de jardin
diaboliques, en rigolant de plus belle ! Le père noël en avait plein le cul.
C'est ça la manufacture du père Noël ? Il était tombé chez une bande de tarés
de fin race, oui ! Et puis le décors ! Il était au milieu d'un campement
cradingue composé de yourtes défraichies puant la tannerie de mauvaise qualité
et le vomis de cancéreux. Le sol était n'était qu'une boue infame composée de
neige fondue, de jus organiques et excréments divers, de cadavres en
putréfaction de petits animaux à moitié machouillés... Devant lui, à
l'extrémité du campement se dressait une montage lugubre et lunaire, aux
arrêtes acérées. Son flanc était éventré par une multitudes d'orifices de toute
taille et de toute forme, creusés dans la roche. Ces excavations étaient
désservies par d'innombrables passerelles branlantes, échaffaudage de fortune
et autres chemins escarpés par lesquels allaient et venaient des centaines de
Gérards verts visiblement très affairés. Des cheminées vertigineuses,
prolongements contre nature de la montagne, crachaient une épaisse fumée âcre
et sucrée. "C'est ça la manufacture du père Noël ?" dit l'homme à
voix haute cette fois, comme s'il tentait de s'en persuader. "C'est ça la
manufacture du père Noël ?" hurla t-il en écho à l'étrange lithurgie qui
provenait du coeur de la montagne.